par Alexis Lucchesi dit « Vie Sublime »
« Sans doute existera-t-il un jour une science que l’on appellera peut-être la « science de l’homme », qui cherchera à pénétrer plus avant l’homme à travers l’homme créateur […] Je pense souvent à cette science et je tiens à laisser à la postérité une documentation aussi complète que possible. »
Pablo Picasso
« Quelles salopes ! » C’est la seule réaction qu’on devrait avoir face au traitement que les femmes d’aujourd’hui (et d’hier) infligent avec l’accord de toute une société à la mémoire de Pablo Picasso. Je dis « les femmes » parce que tant que je n’en verrai pas la moitié au moins désapprouver cash cette montagne d’ordures qui s’amoncellent en vidéos, podcasts et livres au détriment du plus grand artiste de l’univers, toutes seront coupables et toutes devront tôt ou tard en payer le prix. Mais une femme coupable, est-ce que ça existe encore aujourd’hui ?…
Tout a débuté avec la découverte d’une YouTuberie néo-féministe propulsée en tendance sur les réseaux : « PICASSO = GROSSE MERDE ». Le titre, archi-craignos, n’a rebuté aucune des pisseuses d’ordinaire si promptes à tortiller dans les principes… On clique et c’est parti pour huit minutes de ramdam truffé de ragots mais léché comme le cul d’une clientèle qui a fait de la tripe sa raison d’être. Évidemment, la boucherie a vocation d’humanisme et ce bousillage s’enrobe de pédagogie pour nous dévoiler que « derrière la plupart des tableaux » du peintre andalou ne se cacherait pas moins que la « destruction » (un massacre) d’« absolument tout son entourage » !…
Ah, elle va m’entendre la Manon ! Manon Champier aka « Manon Bril », l’alias de la vidéaste à l’origine de cette horreur qui culmine déjà à 1 million de vues… Ça sonne lucidement comme « Mon nombril » voire « Ma Nombril.e. » puisque le féminisable se prend pour le salut du monde, mais tout ce qui brille n’est pas d’or et ne coule pas de source, Manon ! La trentaine bien tassée (au sens littéral), cette docteure en histoire a mis 5 ans à pondre une thèse torchable en 3 avec l’argent du contribuable pour se prévaloir de son titre et faire de la vulgarisation un dada bankable. Ses intitulés vidéo sont déjà tout un programme : « Est-ce qu’on faisait caca par terre à Versailles ? » ; « Pourquoi les statues ont des petits pénis ? » ; « La conquête du clito »… mais ses photos nous renseignent encore mieux sur son personnage de gaucharde gavée de gamineries sinistres, la vulgarité en bandoulière, tromblon « rigolo » racolant son public par un mongolisme de principe :
Vautrée, Bril est le monstre ironico-con type qui redevient vite sérieux aux abords de son plan de carrière. Faire la pute anti-sexiste sur le trottoir de l’air du temps lui a donné un culot précis, la certitude de pouvoir démolir en un clin d’œil le labeur monumental, hors d’atteinte, de Picasso. Catchphrase, avertissement, laides séquences d’animation, franglais : sa vidéo est un modèle du genre pour tous les petits Goebbels de la com’. Ajoutez ce ton cool forcé foufou (et même foufouneux) qui devient le masque soudé à vie sur la face de qui l’adopte, une familiarité insolente, quelques accents de pimbêche sadique… et vous obtenez un des échantillons les plus probants de notre « civilisation » et sa « bienveillance » au fer rouge. Rouge règles !
Au départ, on est sonné. On a beau anticiper les griefs forgés artificieusement contre le peintre, chaque mot est si faux, pris à l’envers, défiguré, les contresens sont débités avec un aplomb et à une vitesse tels qu’on frise le K.-O. On se relève, mais c’est pour tout de suite être emporté par une coulée de commentaires d’une bêtise tonitruante… D’où viennent ces floués, colporteurs d’aversion en gloire au lynchage ? Tous baladés, marchant à l’arnaque, insatiables de révolte protestant de leur princière exemplarité en de comminatoires paragraphes… Croyant faire justice aux « victimes » de l’artiste (de quoi je me mêle ?), les avortons de la morale, « cette faiblesse de la cervelle » disait Rimbaud, se bousculent au portillon de l’Enfer.
Rien n’a changé depuis 1917 et la première représentation à Paris de Parade, spectacle d’art total pour le compte des Ballets russes. Cocteau, Satie et Picasso avaient manqué se faire « crever les yeux » par « des femmes armées d’épingles » (Cocteau dixit) dont la grave et patriote ferveur s’offusquait de tant de fraîcheur loufoque pendant la guerre. Il avait fallu un Poilu en uniforme, blessé la tête bandée comme Apollinaire, pour calmer les Furies réacs quand c’était chic de l’être… Le féminisme, c’est le nationalisme du vagin, un abus de pouvoir de la faiblesse.
Cette opportuniste de Bril n’a fait en effet que répéter sans nuance, en l’abâtardissant davantage, compressé au max, ce que plus de trois décennies de laisser-faire et de compromissions sur le sujet lui ont ventriloqué. Un débunk intégral de sa vidéo calquée sur le podcast d’une dénommée Julie Beauzac et son invitée, la mégère conspi Sophie Chauveau, détruites elles aussi, s’impose. Ce qui prospère sur du fumier y flambe tôt ou tard. J’ai l’essence et le briquet, profitez du spectacle.
PICASSO/MAX JACOB
C’est par la relation entre le poète Max Jacob et Pablo que le bal des frigides s’ouvre. En 26 secondes, Bril dont les lèvres brûlent de mentir résume une amitié de 20 ans qu’elle fait durer le double, pour appuyer en salivant sur sa « toxicité ». Je vous préviens, on n’échappera à aucun tic fémino… La soubrette dans l’âme reproche à Pic’ d’avoir fait faire la bonniche à Max, poète juif pédé « fou amoureux » du peintre, au moment de leur brève coloc’ à l’hiver 1902. Cliché du docu Les Aventuriers de l’Art moderne (Arte, 2015) réalisé par Amélie Harrault, Pauline Gaillard et Valérie Loiseleux, d’après Le Temps des Bohèmes de Dan Franck, et qui depuis tourne en boucle dans toutes les bouches bêcheuses… Ça t’apprendra, Max, de raconter que tu vas bosser tandis que Pablo pionce dans ton lit d’une place après une nuit entière à s’acharner sur des chefs-d’œuvre qui ne se vendent pas !
L’affaire se passe au 137, boulevard Voltaire (5e étage). Jacob, de 5 ans l’aîné du peintre, s’est fait un devoir de l’aider, d’autant que l’Espagnol sans le sou, obligé de chaparder du pain pour tenir, ne parle pas un mot de français et est déjà fiché abusivement par les flics pour « anarchisme »… Insuffisant pour Bril qui soupçonne le duo de n’avoir pas respecté le partage des tâches ménagères… Max travaille, dit-elle (et il nous faut subir sans broncher l’aveu de ses terreurs nocturnes), « pour entretenir Picasso qui comme ça n’a qu’à s’occuper de son art alors que Jacob aussi est un artiste en devenir ». Eh non, pouilleuse ! Le poète continue juste ses boulots foireux habituels pour survivre, ce qui est semble-t-il une raison suffisante… Mais comment garantir que Jacob n’ait pas, un soir plus prospère que les autres, concocté une petite omelette et des haricots à son hôte ?… Peccadilles tout ça, pouah ! D’autant que peu après, Max survivra grâce aux dessins que Picasso lui envoie depuis Barcelone et qu’il revendra pour bouffer et dormir au chaud. Le poète l’explique dans une lettre de 1927… La dette, s’il y en avait une, est épongée.
À Bril d’enchaîner et de commettre d’emblée l’irréparable. Au moins, c’est rapide ! Quand elle lâche qu’en 1944 « Picasso a eu l’opportunité d’aller chercher » le pauvre Jacob alors déporté au camp de Drancy mais qu’« il l’a laissé crever », on se demande si la doc’ n’était pas sous GHB pendant l’écriture de son script ! En effet, que peut un peintre espagnol à qui on a refusé la nationalité française en 40, qui est considéré comme « très suspect » d’après une fiche des renseignements généraux de la même année et à qui on demande de certifier sa non-judéité pour un simple renouvellement de carte d’identité d’étranger ?…
Picasso, ennemi juré de Franco qu’il a ridiculisé à travers son art, Picasso publiquement interpellé dans un discours d’Hitler et mis en tête de liste de la fameuse expo d’« art dégénéré » de Munich, Picasso surveillé par la Gestapo pendant l’Occupation et recevant de temps à autre la visite de nazis qui cherchent à l’intimider, est en réalité dissuadé d’intervenir dans l’affaire Max Jacob ! Pas de pot, Manon ! Ce sont plutôt des personnalités proches des Allemands, comme Cocteau et surtout Georges Prade, conseiller municipal en contact avec les autorités nazies qui mènent la campagne pour la libération du poète, en vain. Aucun document ne prouve que le bon Max ait été relâché ou en voie de l’être. C’est la doctorante Patricia Sustrac, plus fortiche que la cancrelette Bril, qui apporte tous les éléments (et non-éléments) de cette histoire… Mais alors d’où vient cette rumeur ? En fait, d’un seul biographe de Max, le dénommé Pierre Andreu au parcours politique plus que trouble (que Bril et consorts désapprouveraient) suivi par l’âne Dan Franck, très apprécié de la chaîne Arte, un des employeurs de la vidéaste… Comme on se retrouve !
Jacob meurt donc à Drancy d’une pneumonie quelques jours avant son départ pour Auschwitz et Picasso, malgré le danger d’assister à la cérémonie funéraire d’un Juif, s’y rend avec une poignée de fidèles. Il y a tout lieu de croire que si la situation l’avait exigé, le peintre aurait réglé comme il le fera à maintes reprises les frais des obsèques. Rien ne l’y oblige, pas même d’hypothétiques liens affectifs qui depuis 1920 avaient largement eu le temps de s’effilocher. Bril fait croire à son public que les deux artistes étaient proches sous l’Occupation comme au temps de leur appart’ parisien pour dépeindre Picasso en mauvais pote abandonneur blablabla, mais vous pensez bien que les choix de Jacob converti au catholicisme et flirtant avec les milieux fachos/royalistes ne pouvaient que refroidir Pablo qui toute sa vie agonisera le Pouvoir et les forces réactionnaires !
Bril l’antifa de confort sait-elle qu’en 1937 Max Jacob publie un texte dans la revue franquiste Occident, à côté d’une photo du dictateur ibérique ? Qu’il en signe également le manifeste « aux intellectuels espagnols » souhaitant « le triomphe de la cause nationaliste » ?… Celle qui a fait front contre Le Pen dans l’entre-deux-tours 2017 (que c’est original…) aurait-elle continué de fréquenter un mystique partisan de l’Ordre, qui n’a jamais cherché à fuir des nazis indifférents à sa conversion chrétienne et qui s’était mis en tête de vivre à fond son martyre en cas de déportation ?… Silence de l’agnelle.
PICASSO/OLGA KHOKHLOVA
Pour une activiste des muqueuses, c’est facile : une « victime » décrétée telle obtient un totem d’immunité lavant plus blanc que l’Immaculée Conception. Ainsi la russe Olga Khokhlova, première épouse de Picasso, n’est plus comme chacun sait une bourge en veine de respectabilité qui aurait agoni Bril, elle n’est plus non plus une casse-couilles archi-colérique qui peu à peu va couper son homme de la bohème (donc de Max Jacob), mais juste une gentille « danseuse qui a arrêté son travail » en se mariant avec le peintre et qui « a fini en dépression suite à leur relation »… Plus caricatural encore, c’est possible ? Et dire que le portrait que je fais d’Olga provient en partie d’un livre atroce contre Picasso duquel les féministes ont tout prélevé, sauf ça ! On s’y penchera plus tard…
Bril ouvre son historiette en faisant remonter la rencontre du couple un an trop tôt, en 1916. OK, bourde vénielle, mais pourquoi la vidéaste laisse ensuite entendre que c’est le mariage qui a coûté sa carrière de ballerine à Olga plutôt qu’une blessure à la jambe ? Pourquoi aucune mention de ses crises dingues chaque fois que Picasso travaillait pour les Ballets russes (elle captait même son courrier pour le détruire) ? Pourquoi zéro précision sur la manie mondaine et les étouffantes réceptions de la dame qui à la longue déclencheront des bouffées d’angoisses chez son homme, au départ assez séduit par ce cirque prout-prout ? Pourquoi ? Mais parce que Bril est une raclure propagandiste, voyons ! Sur la nature de la femme qui très régulièrement et par tous les moyens fait payer sa médiocre situation au mari talentueux se décarcassant à la tâche (Strindberg, trois fois divorcé, a génialement montré ça dans Plaidoyer d’un fou), motus !
Et il y a mieux ! Ou pire, ça dépend… Picasso, plus sado que maso, demande dès que possible le divorce. L’Espagne le légalise en 1933 et comme pour un étranger l’aval de son pays d’origine était nécessaire, il fonce. Mais Olga s’y oppose ! Merde ! C’était pas supposé être l’époque de la soumission intégrale de la femme au chef de famille ?… Dans l’intervalle, Marie-Thérèse, l’amante de Pablo, tombe enceinte du peintre et lui à ses pieds. Il est fou de joie : c’est le signe qu’il attendait pour aller au bout ! Il en a tellement marre de sa Russe qu’il se résout au partage de biens. Vous avez bien lu : Picasso consent à perdre la moitié de ses productions, des milliers d’œuvres, pourvu qu’on archive « la pire période de [sa] vie » ! Un huissier débarque chez le couple, inventorie meubles et objets : Olga s’évanouit… En activant tous les leviers pour retarder la séparation, elle prouve que tout un chacun (et pas que les hommes) pouvait se servir des scrupules de la société face au divorce pour emmerder l’autre partie. C’est ce que Verlaine ne fera pas quand Mathilde le quittera suite à ses frasques avec un certain Arthur Rimbaud, par exemple…
Mais revenons à la procédure Picasso. Quatre ans plus tard, on y est encore. Enquête, contre-enquête… Ça traîne assez pour que Franco ait le temps de faire son putsch en Espagne. Retour à la Tradition : le peintre ne peut plus divorcer ! Cauchemar ! Il peut en revanche faire une demande de séparation des corps, comme nous l’indique l’excellent juriste Olivier Widmaier, petit-fils Picasso. Accordée en 40 ! Olga fait encore appel… La Cour de Paris soupire, rejette la demande et prend acte que la Russe « faisait de fréquentes scènes de violences à son mari et lui rendait ainsi la vie impossible au point de l’empêcher de travailler et de voir ses amis. » Et qu’on ne vienne pas me dire que c’est l’« arbitraire patriarcal » qui tranche : des années plus tard, Françoise Gilot, sixième compagne de l’artiste, se fera agresser physiquement par Olga, qui lui hurle en dépit de tout qu’elle reste l’unique femme du génie ! Une harceleuse de première, écrivant tous les jours et sur des années des lettres incendiaires au peintre, le poursuivant même à 1000 km de Paris ! Gilot le relate dans son livre Vivre avec Picasso (1964), autre ouvrage de référence des féministes, qui s’arrangeront pour omettre ces menus détails…
Le couple se sépare finalement sans divorcer. Sur décision de justice, Picasso refile son château de Boigeloup à Olga, puis, cette fois de son propre chef, lui verse l’équivalent de 4.500€ par mois et à vie, s’acquitte de tous les frais médicaux de la dame jusqu’à sa mort et de la note de son enterrement, qui a lieu en 1955. ¿Gracias?
PICASSO/MARIE-THERESE WALTER
On en arrive à l’un des passages les plus honteux de la vidéo de Bril, renifleuse de slips crades, sur la relation Marie-Thérèse Walter/Picasso. La conne commet une nouvelle erreur de date, le peintre ayant rencontré la jeune fille en 1927 et non en 1926. Bril l’aurait su si elle n’avait suivi aveuglément la podcasteuse Julie Beauzac, sa seule source je le répète, qui elle-même s’est contentée d’une notice Wikipédia. On ne leur a pas dit, à la fac, que c’est un site à manipuler avec mille précautions ?…
Mais il n’est pas inintéressant d’élucider l’origine de cette incertitude chrono… Elle nous vient de Jeanne Volroff, la sœur aînée de Marie-Thérèse qui a profité de la mort des deux amants pour s’offrir son petit quart d’heure et déclarer qu’elle était présente le fameux jour du crush. Qu’est-ce que j’y peux, moi, si c’est encore une femme qui déconne ?… Comme l’a écrit le biographe John Richardson, de loin l’un des plus compétents sur Picasso : « Jeanne voulait se venger de cinquante ans de rivalité entre sœurs. » Et pour ça, elle avait besoin d’un excentrique docteur Schwartz qui lui servira de complice en publiant un livre bidon sur Marie-Thérèse, où il la faisait tomber sur Picasso en 1925, à 15 ans et demi ! La date choisie par Jeanne lui permettait de jouer les perso principaux de l’histoire… Hélas pour elle, Marie-Thérèse était seule quand Pablo s’est fait foudroyer par son allure et sa grande précocité, aux Galeries Lafayette du boulevard Haussmann. Il est six heures du soir, le samedi 8 janvier 1927. Jour férié pour tous les picassiens…
Tout le monde est gosse pour ces ersatz d’adultes qui font la fanbase de Bril. Marie-Thérèse est dans sa dix-huitième année (ce que Pic’ ignore au départ), avec sa silhouette athlétique elle fait tranquille 25 piges, mais les crevardes parlent de « pédo-criminalité », notion inexistante à l’époque et qui de toute façon ne se serait jamais appliquée à Picasso. Ce n’est pas pour son corps d’enfant (évanoui depuis un bail) que le peintre convoite MTW. Aucune pédophilie là-dedans. Un détournement de mineure, à la limite… Sauf que la mère Walter étant au parfum de l’histoire (Pablo peint parfois dans son jardin à Maisons-Alfort), ça rend moins évidente la « soustraction du mineur des mains de ceux qui exercent l’autorité sur lui », non ? Avis aux juristes !
Est-ce que ce n’est pas un peu sexiste et infantilisant de considérer qu’une jeune femme des Années folles, sportive et en avance sur les autres, n’a pas le droit de vivre sa plus grande histoire d’amour avec un homme de 45 ans parmi les plus brillants de son époque et tout aussi in love d’elle, qui la fréquentera deux décennies et plus, lui donnant même une fille qui aujourd’hui encore n’a pas de mots assez tendres pour son père ? Si.
Bril insiste en reprenant toujours le même extrait d’une interview merveilleuse que Marie-Thérèse a accordée en 1974 à Pierre Cabanne (vrai grand vulgarisateur, lui !). Au sujet du bonheur selon Picasso, la muse d’origine suédoise dit : « Il viole d’abord la femme, comme Renoir disait, puis après on travaille ! » Cataclysme ! Éclairs ! Convulsions ! Ça dure trois secondes, c’est dit sur un ton de polissonnerie pudique, Marie-Thérèse ajoute même en éclatant de rires, aussi bien amusée que gênée – voire gênée d’être aussi amusée : « Après on recommence et puis voilà ! » mais pour les militantes l’affaire est pliée, le littéralisme du clito reprend de plus laide !
La Youtubeuse n’a pas écouté cette interview. De nouveau, elle répète sans recul ce que persifle la relavure de litière Sophie Chauveau à Julie Beauzac pour son entretien qu’il va nous falloir dégommer en deuxième partie. Autrement, elle aurait su que Walter se réfère à l’ardeur avec laquelle Picasso l’honorait, condition expresse pour brosser un nombre inhumain de chefs-d’œuvre ensuite. Voilà une vie saine ! Quand le jour de leur rencontre le peintre affirme à Marie-Thérèse : « Vous avez un visage intéressant, j’aimerais faire votre portrait. Nous allons accomplir de grandes choses ensemble », il est sincère et il dit vrai ! Contrairement à ce que Bril jacte, Walter avoue qu’elle n’a pas la moindre idée de qui est Picasso, elle se fout complet de la gloire du monsieur mais elle chavire instantanément devant ce coup de force du destin. Elle se livre, et comme aucune féministe ne saura jamais le faire (trop trouillarde et morbide pour ça) à une passion féroce qui l’emportera sur les cimes du désir, à la poursuite du grand tout ! C’est ce que dira Marie-Thérèse, 65 ans, à la prof émérite Lydia Gasman : « Les ébats avec Picasso étaient parfois intimidants et terribles, mais au final l’expérience était totalement épanouissante. » Vous avez dit « pédo-criminalité » ?
Le féminisme est une force effroyablement destructrice : il tient à ce que chaque relation qui ne rentre pas dans un cadre strictement défini, fait de bonnes manières et de mamours légalistes, soit suspecte. Oui, elles en sont encore là dans leur approche de la sexualité qu’elles confondent avec une soirée pyjama… Ignorance et déni absolus des frictions passionnelles. C’est à se demander si elles n’ont pas inventé « l’emprise » à sens unique de l’homme sur la femme pour qu’on ne remarque pas que dans un monde où tout leur est acquis, elles restent inféodées à des tabous confondant de niaiserie !
Et ça continue… Sur le Minotaure, monstre hybride entre le taureau et l’homme, effectivement alter-ego de l’artiste, Bril explique qu’on le voit « régulièrement en train de commettre des viols ». C’est allégorique, Picasso l’a déjà expliqué, quand il peint un cheval sauvage, c’est moins l’animal qui l’intéresse que la sauvagerie et ses implications picturales, mais Bril, froidement, s’effarouche : « Sauf que dans la mythologie, le Minotaure n’est pas du tout un violeur, il n’a rien à voir avec la sexualité, c’est donc pas du mythe que parle Picasso, mais de lui-même ! » Pardon, elle parle bien du Minotaure dévorateur de vierges dans son dédale d’inassouvissement, fruit d’une saillie entre un taureau en rut et Pasiphaé la chaudasse obsessionnellement zoophile ?… Elle ne connaît pas Les Athéniennes livrées au Minotaure de Jean-Baptiste Peytavin (1802), ni Le Minotaure de Rodin (1886) ?…
Mytho, oui, mythologue, non ! Qu’est-ce que ça lui aurait coûté à Bril de dire à son public que la bête prisonnière du labyrinthe est très basiquement interprétée comme ce qui, bien tapi au fond de chaque être, risque de resurgir de façon incontrôlable si on ne l’affronte pas intelligemment ? Qu’il vaut mieux faire fi de la panique morale des bourgeois pour exorciser, mâter ses pulsions sur une toile de pleine puissance symbolique, plutôt que de laisser les lâches nous dicter une conduite, et larvée avec ça ?
Le Minotaure de Picasso, c’est la dualité brutale, imbécile ! Le peintre trouve ça chez les Surréalistes, puis s’en sert pour outrer son espagnolisme (taureau, matador…), ressusciter la Grèce archaïque et sublimer des oppositions. Il les synthétise par un avatar d’une rare expressivité… C’est une délimitation des valeurs positives et négatives, pas une apologie du viol ! Il y a autant de sauvagerie que de fragilité, de tendresse que de violence dans cette fascinante créature… L’artiste choisit un monstre incontrôlable, cédant aux plus répugnants excès, sa frénésie s’hérisse d’angoisses pornos pouacres, et subitement une petite fille apparaît qui lui prend la main et l’apaise, déjouant les ténèbres. La frêle fleur d’amour guide le mal vers le pardon et le rêve… Bienvenue en Arcadie…
Mais peut-être que si je donne l’exemple du Minotaure féministe qui, lui, incarne la haine enfouie du Beau, de la liberté libre, du génie dont il conteste le fondement depuis son bunker internétique et qui n’en sort que pour hurler son impuissance à des millions de connasses suivant son exemple et détruisant tout, on comprendra mieux ?…
PICASSO/DORA MAAR
Place à Dora Maar, la photographe surréaliste dont s’amourache Picasso fin 1935, début 1936. Sans surprise, Bril suit le crédo à la mode : la nouvelle amante du peintre est « méga-talentueuse », « super-engagée », etc. Que d’hyperboles toutes faites pour cacher son incapacité à dire pourquoi Maar est giga-forte en photos… Qu’importe ! Après le dédouanement du sale caractère d’Olga, la mise au pinacle de Dora ! Quiconque croise la route de Pablo est anobli d’office, propulsé au firmament de dons suffocantissimes ! Plus fort que la mort, ce Pic’ !
Pas sûr qu’une seule fémino puisse citer ne serait-ce qu’une œuvre de Dora Maar, mais passons… Il n’y a que sa position auprès du peintre qui les intéresse, mais passons encore… Et puis non, ne passons pas ! Car aucune de ces chiennes n’assumerait l’activisme offensif qui poussait la jeune artiste à célébrer le règne de la Terreur sous la Révolution. Personne n’a quoi que ce soit à foutre de son groupe Contre-attaque, qui déclarait admirablement : « Pays et famille, le respect de l’un ou l’autre fait d’un être humain un traître à son prochain. » Et d’un coup, ça ne gêne plus les bien-pensantes que Maar ait été une antisémite annotant Mein Kampf dans la deuxième partie de son existence, avec pour marque-pages une photo d’Hitler !! Appartenir aux femmes-victimes de Picasso excuse d’admirer Hitler après la fin de la Seconde Guerre mondiale et la découverte du génocide juif… Intéressant…
Dora à ses côté, Pablo s’attelle donc à Guernica. L’anéantissement de la ville basque ayant secoué le monde en 37, le peintre bosse pour cinq à ce qui deviendra la plus connue de ses toiles. Maar, bombardée assistante-photo du peintre pour l’occasion, réalise le fantasme de tous les vrais adorateurs de peinture en immortalisant les principales étapes de l’œuvre in progress. Or pour Bril le perroquet, c’est elle, Dora, « qui capte tout de suite la portée symbolique de l’événement et qui incite Picasso à le peindre » ! Elle n’a pas osé insinuer comme Julie Beauzac dans son podcast que « si ça se trouve elle a fait beaucoup plus ». C’est-à-dire, ma mignonne ? Laver les pinceaux ? Ou éponger le foutre du génie quand il avait besoin de se détendre ?…
Amateurisme et indécence, les mamelles de celles qui se donnent tant de mal pour que les hommes ne leur en fassent pas (et qui se vengent sur ces derniers s’ils hésitent à les martyriser comme elles ont besoin de l’être). Amateurisme, parce que Picasso est sorti du bois face au fascisme bien avant Guernica et que dès 33 il a fêté avec ses potes le deuxième anniversaire de la République espagnole qui sera vite menacée par Franco. Indécence, parce que faire l’impasse sur les dessins, croquis et vignettes (dont la BD Songe et mensonge de Franco, trois mois avant les bombardements de l’aviation nazie) qui annoncent à peu près tout ce qu’on retrouvera dans le célèbre tableau relève de la truanderie intello.
Bril se grille à vie en réduisant à rien l’engagement de Picasso devant l’embrasement de l’Europe. S’il y a bien un artiste qui s’est donné, sur-sollicité de toutes parts, c’est lui ! Au point que son atelier devient avant-guerre un point stratégique où se rassemblent pas mal de partisans du « monde libre »… Entre temps, le peintre vole au secours d’une bonne douzaine d’artistes espagnols exilés, multipliant « les dons, les encouragements, les achats d’œuvres, l’aide à l’édition » comme le prouvent Laurence Bertrand Dorléac dans le catalogue Guernica (2018) et Annie Cohen-Solal pour un ouvrage dont nous parlerons longuement en deuxième partie. Pablo s’occupe même des formalités administratives de ses copains… Il défend et représente les Républicains de son pays d’origine alors qu’il est lui-même apatride dans une France au bord du gouffre fasciste ! Sa propre mère, qui assiste en direct d’Espagne à la guerre civile, lui envoie lettre sur lettre… Chaque matin, Pablo lit L’Humanité tenaillé par l’angoisse… On le nomme directeur honorifique du musée du Prado en signe de résistance… Le ministre anti-franquiste de la Culture lui écrit pour obtenir son soutien, suivi de près par le sous-secrétaire d’État à l’Instruction publique… Ils finissent par commander à l’artiste, « au nom du peuple espagnol », une fresque pour l’Exposition internationale de juillet 1937 à Paris… Ce sera Guernica, d’évidence !
Puis la guerre éclate en France. Picasso a l’opportunité de se tirer (Mexique, États-Unis, les offres abondent), il reste. Matisse idem, qui écrit à son fils : « Si tout le monde avait fait son métier comme Picasso et moi faisions le nôtre, ça ne serait pas arrivé… » À Paris, les Boches tentent d’amadouer Pablo en lui proposant des rations alimentaires et du charbon : le peintre rétorque qu’un Espagnol n’a jamais froid… Les nazis inventorient ensuite les coffres de l’artiste, mais Picasso fait passer ses œuvres pour des gribouillis sans importance et les bleus-bites (voire les schleus-bites) s’en désintéressent… Fort de cette ruse, il épargne dans la foulée le pilon aux tableaux de Matisse demeuré à Nice pour maladie… Quel pote ! Bienfaiteur de l’humanité, le mec ! Otto Freundlich, un juif réfugié en zone libre, demande à Pic’ de payer son loyer pendant un an pour ne pas être expulsé ? Le peintre s’exécute… L’Allemand Hans Hartung a besoin d’argent pour s’éclipser au Maroc et s’engager dans la Légion ? C’est Pablo qui offre… La paix revenue, on apprendra qu’il a même financé l’hôpital dit de Varsovie, toujours pour les résistants espagnols blessés au combat… C’est beaucoup et je n’ai même pas évoqué le principal : toutes les œuvres, toiles et sculptures répondant au désastre (débrouillez-vous pour chercher ça) !
Amusons-nous, voyons ce que devient ce parcours dans la bouche de Manon Bril : « Guernica a fait passer Picasso pour un grand résistant qui a lutté pour la liberté alors qu’en fait le type il a rien fait du tout ! Il était comme quasiment tous les Français, donc ni collabo ni résistant, et en plus pété de thunes donc il pouvait s’approvisionner tranqueuls au marché noir ! Bref, Picasso ce qui l’intéresse, c’est pas les autres, c’est que sa petite gueule, même s’il fait semblant d’avoir des pseudo-engagements. »
Ah, c’est à croire que Bril n’attendait que ça : se prendre une fessée par Alexis Lucchesi aka « Vie Sublime » ! Coquine, va ! « Les femmes sont des machines à souffrance » disait Pablo, fin connaisseur… C’est comme Dora Maar : elle adorait les rapports de domination/soumission, elle a tour à tour choisi pour amants Georges Bataille et Picasso (et même Louis Chavance, le scénariste du Corbeau de Clouzot, SM notoire) exactement comme on déniche un « maître » (c’est son mot), tous sont des disciples revendiqués du Marquis de Sade, et ça permet aux merdeuses de trousser la légende de « Dora battue jusqu’à l’évanouissement par le peintre » ! Non. Par contre, le dominateur – et Picasso en était un – atteint son degré maximal de désir par l’offrande absolue et consentie de sa partenaire ruisselante d’abandon… La quête d’emprise est double, réciproquement paradoxale entre ces deux Scorpions au corps à corps. De cette tension fulgure la jouissance…
Et les larmes ? Yes, mais ça n’autorise pas Bril à balancer que ce qu’on voit dans « la plupart des tableaux » de Picasso, c’est « la destruction d’absolument tout son entourage »… Je suppose qu’avant d’ouvrir sa gueule de grenouille écrasée par un bus scolaire sur une route de campagne noyée dans la brume matinale au mois de mars, Manon a fait elle-même l’inventaire des 110 000 œuvres du peintre sur tous les sujets possibles et imaginables, et autant d’approches différentes ? Tout ça parce qu’une larve a mal recopié un jour sur Internet la phrase de Pablo au sujet de Dora : « Pendant des années, je l’ai peinte en formes torturées, non par sadisme ou par plaisir. » Il a suffi d’un gogol écrivant « non par sadisme mais par plaisir » (ce qui annule l’idée) pour que les hyènes se précipitent et fassent de La Femme qui pleure le témoignage des trempes que Picasso refilait soi-disant à sa meuf ! Malignes, elles ont escamoté la suite de la citation, meilleure preuve de respect de l’artiste pour sa femme : « Je ne faisais que suivre la vision qui s’imposait à moi. C’était la réalité profonde de Dora. »
Guenons ! Cette série de 1937, c’est l’Espagne martyre et personnifiée fusionnant avec la détresse originelle de Dora, qui en était supra-fière ! C’est l’intimité d’un peintre avec sa muse, mêlée aux rumeurs d’un cosmos en sang ! C’est le Beau jamais vu tel, insoutenable de spasmes tragiques ! Tout se fond en un creuset de sensations passées, présentes, à venir, aggravées par la psychose générale vociférant sur la toile ! Et Maar a suivi ça d’instinct en se mettant elle aussi à la peinture, émulée, grisée par une coopération tous azimuts avec Picasso, lequel l’adorait pour sa créativité et sa culture. Ça le changeait de Marie-Thérèse avec qui ce genre de rapports était impossible…
« Faux ! rétorquent les féministes entre deux tweets sur leurs tampons usagés. Picasso a fait arrêter la photo à Maar pour l’humilier par la peinture ! Il était trop jaloux de son succès et de son intelligence, na ! » Au lieu de souligner le rôle complémentaire et même providentielle de Dora auprès de Pablo et vice-versa, elles cherchent à les diviser en noircissant, dénaturant tout (leur mission ici-bas). Elles ne veulent pas rendre justice aux femmes artistes mais construire l’image de la choupine mal traitée et injustement niée dans l’histoire pour en tirer leurs bénéfices dans le présent. Parce qu’une réalité les offusque, elles la massacrent en l’infléchissant à leur vision conspi du couple où l’homme ne supporterait pas d’avoir une compagne rivalisant d’audace et de profondeur… Ça sent le complexe d’infériorité à pleine chatte !
Même Gilot, qu’elles disent avoir lue, et qui succèdera à la photographe quelques années plus tard, est très claire là-dessus : Picasso raffolait pouvoir hausser le niveau de la discussion avec sa compagne, qu’il stimulait comme personne en retour, on s’en doute un peu quand même… C’est à ses côtés que Dora accède à son rêve d’enfance, qui n’était pas la photo… mais la peinture ! Discipline autrement plus complexe… Pendant 40 ans, elle n’arrêtera plus. Et Bril (qui ne fait que de la vidéo YouTube à défaut d’être capable de réaliser des films) décrète que Pablo l’y a forcé pour qu’elle renonce à sa spécialité, donc à la gloire, donc à son indépendance, donc !… Pour elle, Dora n’a pas le droit d’avoir conscience des limites de son médium. Elle lui retire même sa nécessité intérieure. Évidemment que c’est moins bon, que les exigences sont autres pour un art majeur… Mais chez une fémino, il n’y a de majeur que le doigt qu’elle lève sur ses photos pipi caca d’arriérée mentale.
Ça finit comme ça devait finir entre deux caractères aussi affirmés. À entendre la vidéaste, Picasso serait l’unique responsable de la capilotade nerveuse de Maar. Ah bon, pute ? Moi je croyais que c’était à cause de sa stérilité, ou de son filleul décédé sur qui elle avait reporté son désir frustré de môme, ou de la mort de sa mère, le tout au beau milieu de la Seconde Guerre mondiale… Les biographes sérieux font très bien le lien entre la faille initiale de Dora victime de son intelligence et de sa sensibilité, une border « sujette aux orages et aux colères » d’après son entourage, et les accès mystiques qui la prendront quand sa relation avec le peintre battra de l’aile autour de 43-44.
La rupture lui porte le coup de grâce et la plonge dans une grave dépression. Après un délire de trop au cinéma, les flics l’embarquent, direction Sainte-Anne (ou la clinique Jeanne d’Arc de Saint-Mandé, c’est selon) pour des séances d’électrochocs. Ce n’est donc pas Picasso qui l’a fait interner comme l’assène Bril, même si pendant une crise Dora le somme de se repentir en le taxant de « mécréant » ! Il intervient au contraire avec Éluard pour la sortir de là et la remettre entre les mains de Lacan, qui lui ne pratique pas de sismothérapie, idiote ! Comment aurait-il pu, ayant cessé de bosser en asile en 34 quand les électrochocs ont été inventés quatre ans plus tard ?…
Fin de la guerre et du tandem Maar-Picasso. Le peintre offre une maison en Provence à Dora, qui vivra un demi-siècle encore. C’est beaucoup pour une femme « détruite », je trouve… Et ses choix ultérieurs sont parfaitement lucides quoi qu’en disent les autruches de malheur ! Pour ne pas avoir l’impression de déchoir, elle fera ce que pas mal de veuves ou d’ex de génies font dans ces cas-là : se fermer aux autres et au sentiment. À quoi bon l’amour d’un con lambda quand on a tutoyé les cimes ? Cloitrée volontaire, Theodora la bien nommée aurait dit à Éluard : « Après Picasso, il ne reste que Dieu. » Amen !
PICASSO/FRANÇOISE GILOT
On enchaîne avec Vivre avec Picasso, le livre de Françoise Gilot sur ses dix années avec le peintre. Comme c’est un devoir d’humain d’apprendre du quotidien du grand homme, on est heureux d’accéder à ce livre. Certes Gilot arrange l’histoire à sa sauce, occulte ses propres infidélités et ses sautes d’humeur, prête à Pablo un jargon professoral qu’il n’avait pas, construit son esbroufe de meuf drapée de chic qui a su dire non à « Barbe-Bleue », ne parle ni de son instinct de compétition au sein même du couple, ni de sa noirceur autodestructrice qu’elle avouera en d’autres circonstances, se complait enfin dans son rôle de jeunette « innocente » un chouia revêche et calculatrice, mais dans l’ensemble, surtout si on est bien luné, son témoignage se tient ! À condition de ne pas oublier que son livre, elle a eu besoin de l’auteur Carlton Lake pour l’écrire, ce qui écorne un peu l’image que tous nous vendent d’une Gilot incroyablement libre et « brillante », imposant d’autant mieux l’« indiscutable originalité » de son art qu’elle a su résister à Picasso…
Des 384 pages du bouquin, des milliers de jours que Gilot a vécus avec le peintre, Bril a gratté deux anecdotes comme le ferait un rat puceux devant les miettes séchées d’un emballage de kébab fermé pour non-respect des normes d’hygiène, une semaine plus tôt. Et ces anecdotes, elle les a mutilées. Que répondre à : « Françoise veut se consacrer à sa carrière, mais Picasso lui met la pression. Résultat : elle se retrouve avec 2 gosses en bas-âge et à pourvoir à tous les besoins de la maison pour que monsieur Picasso puisse peindre toute la journée et coller à son image de grand prodige dévoué corps et âme à son art » ? Que répondre ? À part : « Prouve-le, Manon, ou endure le regard de ta défunte mère qui te juge depuis les cieux », je vois pas… Ah si ! Gilot a reconnu elle-même délaisser ses mômes pour sa peinture. C’est dit pages 228 et 260 de Vivre avec Picasso, éd. 10/18, 2019. Merci.
Tout aussi approximative l’anecdote de Bril sur Picasso n’acceptant de sortir du lit qu’à condition que Françoise vante, « de 7 à 12H », ses mirifique prouesses. Dommage, c’était drôle ! Rien à voir avec de la mégalomanie génialement tournée, Pablo était juste désespéré chaque matin par la perspective d’avoir à se damner pour l’art dont il était l’esclave. Ses jérémiades advenaient de temps à autre et duraient une heure et demi max. « Les gens m’envient parce que je vends des tableaux… S’ils savaient ce que ça m’a coûté, ils ne voudraient pas être à ma place » est une des citations les plus à ruminer de son répertoire…
Il fallait avoir envie de se lever pour fonder la religion artistique du troisième millénaire ! Dans son lit, Pic’ geignait comme un prophète qu’une vision furtive écrase en lui révélant l’étendu des malheurs qui le guettent : Olga le persécutant toujours, dix ans après leur séparation, les potes dont il avait le pressentiment parano puéril qu’ils ne l’aimaient plus, sa créativité qu’il redoutait jusqu’à l’épouvante de voir décroître… Des phrases hilarantes comme : « J’ai la gale à l’âme » ou : « Je veux un docteur qui s’intéresse à moi. Mais il ne s’intéresse qu’à ma peinture » figurent chez Gilot, qui accrédite l’idée d’une vraie « maladie de la volonté » se dissipant une fois l’artiste au turbin.
Il se trouve que Picasso était aussi un homme (ça arrive) et superstitieusement angoissé avec ça. Sous son impulsion, chaque tableau depuis Les Demoiselles d’Avignon (1907) se transformait en un exorcisme particulier. Le quotidien du peintre était fait de mille petits rites pour chasser le mauvais œil : des minutes de silence à observer en famille avant chaque voyage (un seul bruit et tout était à recommencer), aux cheveux que Pablo tardait à faire couper de peur qu’un magicien ne s’empare d’une de ses mèches et n’exerce ensuite un pouvoir occulte sur lui, ses précautions de shaman sont bien documentées… La crainte toute primitive de l’artiste de voir ses dons déteindre sur les autres était telle qu’il ne permettrait jamais à Gilot de transmettre ses vieilles frusques au jardinier, persuadé que ses dons pourraient investir celui qui les portait. Au besoin, il envoyait quelques rognures d’ongles à Marie-Thérèse pour les mettre au secret… Et empruntait les vêtements trop grands de son fils dans l’espoir de récupérer un peu de sa jeunesse…
On a une première explication à l’accusation de Bril : « Lorsque leur médecin a dit à Françoise Gilot qu’elle devait être hospitalisée d’urgence pour des complications de grossesse, Picasso a refusé que son chauffeur l’amène à la clinique parce que bon, il avait des trucs à faire… Et après des heures de négo il a quand même fini par céder et elle a accouché le soir-même. » Depuis la mort, sous ses yeux d’enfant, de sa petite sœur Concepción (diphtérie), puis de son grand amour Éva Gouel (cancer de la gorge) et de son meilleur ami Apollinaire (grippe espagnole), plus tous les pépins physiques d’Olga et tant d’autres merdes que nous n’avons pas le temps d’aborder ici, Pablo vivait dans la terreur de la maladie qui à tout moment pouvait frapper ses proches. « Il ne supportait pas que ma propre femme ait mal à la tête ! » confiera son pote Pierre Daix. La perspective d’une intervention médicale déclenchait chez Pic’ des états proches de la panique. Tout était mis en œuvre pour repousser l’échéance… Ça, Bril n’en pipe mot, certaine que toute sa clique de névrosées passant leur temps sur les réseaux à se triturer le trauma en de sordides exhibitions dispose du monopole de la souffrance.
Pour finir de nettoyer le guano de la Youtubeuse, précisons que Picasso ne « pète pas un câble » quand Gilot s’en va (elle cherchera à revenir les années suivantes, trop tard !). Il l’aura mauvaise, c’est sûr, mais sans « s’appliquer » à les « black-lister » elle et son futur mari. Rumeur forgée à partir du non-renouvellement de la collab’ entre le marchand Kahnweiler et Françoise, exposée à l’époque moitié pour ses toiles, moitié pour Picasso. Lors du premier grand vernissage de sa compagne, ce dernier avait eu l’extrême délicatesse de couper à l’événement pour éviter que sa présence ne fasse de l’ombre à l’exposante (pp. 298-99 de Vivre avec Picasso). Navré les filles ! Gilot n’a jamais été une artiste très intéressante. Comme tant d’autres, elle doit presque toute sa notoriété à celui qu’on traîne dans la boue par arrivisme et cupidité.
La seule chose que je concède aux féministes, mais qui n’est pas dans la vidéo de Bril la sur-désinformée, c’est que c’était limite de pétitionner dans la revue Les lettres françaises contre le livre de Françoise à sa sortie. L’initiative vient des potes de Pablo écœurés par les manœuvres de l’autrice et de ses cancans, tout raisonnables fussent-ils. Parmi les signataires, quelques femmes dont Marcelle Braque, Alice Derain et même Fernande Olivier, première meuf du peintre !… Elle aussi, 30 ans plus tôt, avait écrit un livre de souvenirs (préfacé par Paul Léautaud) sur l’époque Bateau-Lavoir. Elle y confiait avoir goûté au mieux de l’existence auprès du peintre, ce qui avait rendu folle de jalousie Olga que toute évocation du passé de son homme mettait dans les transes. Procès contre Fernande pour suspendre la publication ! Et défaite des Picasso, normal…
Pablo ne lira pas Gilot mais essaiera, aiguillonné par sa dernière femme Jacqueline Roque, de faire là encore interdire le livre. Stupide, et peine perdue : le best-seller allait le devenir… C’est le principe du déballage public, dix ans plus tard et très subjectif, qui gênait Pic’. À 83 ans, brossant toujours toile sur toile, de plein pied dans son éternité présente, il savait qu’on ne retiendrait de Vivre avec Picasso que l’inessentiel, soit une confusion de plus sur son œuvre. Je n’aurais pas eu à écrire ce texte s’il n’avait vu juste.
PICASSO/JACQUELINE ROQUE
Pour Jacqueline, la dernière compagne du peintre, Bril expédie 20 piges (1953-1973) de fusion amoureuse en une phrase accusatoire dirigée vers Roque… pour mieux la faire ricocher sur l’artiste ! Fabuleux ! Picasso est coupable de tout ! Minotaure-émissaire ! Il se voyait, se peignait comme ça d’ailleurs, parfois… Les féministes réalisent ses visions !…
Jacqueline a « une image de tyran » complaisamment colportée par des charognards ? C’est la faute à Pablo pour qui, nous dit Bril, « c’était bien pratique de lui laisser endosser le rôle de la méchante » ! Pablito, le petit-fils turbulent de l’artiste, se tue parce qu’à la mort de son grand-père chéri, vu sa détresse de veuve, Jacqueline exclut les proches de l’enterrement ? C’est la faute à Pablo ! Son fils Paulo s’éteint d’une cirrhose, alcoolo rongé par les querelles avec son ex-femme Émilienne et le suicide de son enfant Pablito ? C’est la faute à Pablo ! Marie-Thérèse Walter se pend 4 ans après le décès du génie ? C’est la faute à Pablo ! Il meurt en 73 et Jacqueline Roque se flingue en 86 ? C’est la faute à Pablo…
Ce que sous-entend la Youtubeuse avec son listing mortuaire dénué de toute explication est trop dégueulasse pour que je ne partage pas ici la vérité telle que nous l’a transmise Olivier Widmaier, le petit-fils de Walter, dans son salutaire Picasso Portraits de famille : « Pour Marie-Thérèse, avec la mort de Pablo, l’argent facile se fit rare ; le fisc lui demanda des explications sur l’origine de ses revenus, depuis toutes ces années sans déclaration. Les amis avaient fui. Acculée, inquiète, incapable de gérer le moindre problème de sa vie, elle préféra rejoindre le monde imaginaire du Minotaure qu’elle guidait à la bougie dans les gravures de Pablo. » Où l’on apprend que Pic’ a versé, là encore, chaque mois et à vie, l’équivalent de 4500€ à Marie-Thérèse… De fait, ce n’est pas parce qu’il l’a détruite qu’elle en finit, c’est parce qu’il n’était plus là ! Quand bien même d’autres femmes sont venues après elle… Médite, Manon ! Méditez, toutes !
C’est aussi ce qui s’est passé pour Jacqueline : après l’inhumation de Picasso, sous la neige, elle s’étendra sur sa tombe, inconsolable. Elle tiendra 13 ans, la moumiche, avant de se loger une balle dans la tempe… Elle qui avait si bien géré le fonds du peintre a attendu de finaliser l’ouverture d’une grande rétrospective à Madrid, fixant tous les préparatifs, pour quitter cette planète de minus dont l’excuse de ne pas être des génies ne suffisait plus à passer outre leur insignifiance parasite.
« Et l’histoire du testament, on en fait quoi ? » me demanderont à n’en pas douter les lecteurs attentifs suivant séquence par séquence mon texte et la vidéo de Bril… Eh bien figurez-vous que ça agace la vidéaste que le peintre n’ait pas laissé de dernières volontés ! Ça alors ! D’après elle, Picasso se serait abstenu « pour être sûr que tout le monde continue de souffrir et de se déchirer ». Elle se glisse trop bien dans la peau d’une femme avide et intéressée culpabilisant les faibles… Erreur encore ! Si Picasso n’a rien fait, c’est qu’il était persuadé de crever le lendemain en signant le papelard ! Quand il a donné Guernica à l’Espagne, gare à celui qui en parlait comme du « testament de l’artiste » ! Toujours sa superstition… Pablo ne touchera aucun de ses contrats de mariage à cause de ça : une calamité toucherait forcément son couple dans la foulée… Sur son testament, impossible de donner tort au peintre quand il disait avoir « assez travaillé pour tout le monde ». Pas un membre de sa famille qui n’ait été riche à millions, et rapido, et sans la guéguerre affabulée par Gérald McKnight dans son livre Bitter Legacy (1987)… Comment dit-on « Jackpot ! » en espagnol ?
CONCLUSION
« Voilà » conclut Bril avec une délectation à peine voilée. En plus de l’artiste, elle vient de flétrir quatre morts. Elle a détourné, trahi leur détresse pour accabler un homme et se faire mousser en public : aucune des « causes » qu’elle défend ne rachètera une telle faute. Il n’y a d’ailleurs qu’une question à se poser en regardant sa vidéo : qu’auraient pensé les femmes, amantes et amies de Picasso de cette récup’ idéologique assassine ? Toute sa vie, Fernande Olivier souffrira du mal qu’on pouvait dire du peintre. Sylvette David et Hélène Parmelin n’ont que de la gratitude à lui exprimer. Geneviève Laporte a écrit trois livres d’hommage et d’amour… Toutes, sauf peut-être Gilot et encore, auraient haï Bril et ses clones imposteurs ! Mais Jacqueline se serait tue. Celle qui disait : « On s’est tellement aimé qu’il est inutile de l’écrire » aurait laissé cet élevage de folles voyeuristes caqueter au néant, s’étouffer de rancœur aveugle, incurable.
Et la meilleure, c’est que Bril finit par dire qu’il n’est pas question de remettre en cause l’importance de Picasso dans l’histoire de l’art. Plus vomitivement hypocrite, tu meurs sous les coups de ton conjoint ! Sur sa chaîne YouTube, la vidéaste n’a jamais autant scoré qu’en tabassant le king des kings. Comme c’est logique… Les commentaires sont abominables d’exécration unanime, de fakenews en rab, de hourras et remerciements à l’auteure… C’est pas nazi, tout ça, peut-être ? L’indignation pilotée, poussant la masse dans ses ultimes et viscérales limites est là, à chaque ligne de chacune de ces critiques débordant de fiel. Dégoûtant le ciel, ouais !
Bril ignore à quel point sa vidéo est une ode à la misogynie. Tout y est pour balayer en l’avalisant l’ensemble de l’argumentaire viriliste, autre connerie à faire sauter comme un hymen de l’esprit de nos contemporains. On voudrait prouver que le sexe naguère dit « beau » a fait de la futilité, de la manipulation et des bas instincts sa contraception préférée pour ne jamais enfanter du minimum vital de compréhension de l’art qu’on s’y prendrait exactement comme ça. Le plus impur gossip passe comme un gaz dans tous les sinus que le féminisme a dilatés comme le poppers l’anus. Et quand ce dernier est celui de garces malsaines qu’une idéologie de mort encule à leurs dépens, l’image vire au sublime. Car le vrai viol, mot que toutes ont à la bouche faute de mieux, est là.
Une idéologie qui aboutit à l’éreintement du génie quel qu’il soit est par définition l’ennemi même de Dieu. N’importe qui voulant se renseigner sur le plus grand créateur du XXe siècle (et je suis gentil) tombera désormais, en tout premier lieu, sur ce « PICASSO = GROSSE MERDE » tellement sale qu’il en devient exquis. Pour ne pas avoir à cautionner ce qui soi-disant se cacherait derrière les tableaux de l’artiste (en gros, la violence faite aux femmes) des centaines de milliers d’âmes parmi la jeunesse se détourneront de ce qui aurait dû être une priorité pour elles… Amputation à 99,9% du catalogue picassien ! Adieu, les femmes-fleurs, celles qui rêvent, lisent, écrivent ! Adieu, les demoiselles courant sur la plage ! Adieu, naïades aux cheveux lisses et la vulve en fête ! Les sous la lampe, en mariées ou au béret ! Adieu, les femmes-sphinx, à l’amphore, avec un coq ou sous un ciel nocturne… Au rebut, splendeurs ! L’éclipse est venue ! Ne reste que des sacs à névroses enchevêtrées, des viandes filandreuses, chiffons anxieux et déchirés : c’est comme ça que le féminisme les voulait, et il les a eues, les buses !
Si Picasso est perçu comme un sacrificateur aztèque offrant au Soleil-Art les gens qu’il aime, Manon Bril est une prêtresse mutilatrice de vérité. Ça, une « vulgarisatrice » ? Son crime de l’esprit est le pire qui se puisse concevoir, mais comme c’est fait au nom de l’émancipation de la femme et de l’égalité salariale, tout va pour le mieux, je présume ? On ne « questionne » jamais assez le pouvoir de ceux et surtout celles qui dénoncent le « pouvoir » des autres… Picasso n’avait ni le pouvoir ni l’impunité que prétend Bril qui, elle, a le pouvoir de diffamer Picasso en toute impunité… Ce qu’a fait cette immonde est d’autant plus grave qu’il n’y a plus d’autorité pour contrebalancer son discours. Aucun médiatique n’a bronché. Pas une réaction de quelque spécialiste que ce soit, rien. La France est nue !
Elle a peur de se colleter aux déchets qui ont collaboré à cette vidéo ? Les infantiles crobards de « Leamlu » (dont le vrai nom est Lucie Gardes) animés par Anne Masse lui donnent la chair de poule ? Marie Écarlat, « Character Design », l’effraie ? La poubelle électro-pop Renaud Bizart et ses vignettes potaches l’intimident ? Indécrottables trentenaires comme seule notre époque pouvait les chier, hapax de civilisation pris dans leurs vapeurs biéreuses, les mollassonneries, le chamallow show… On ne peut pas faire plus naze comme humanoïdes et l’avenir nous condamnera au dépotoir pour n’avoir pas esclavagisé ces crasseux, intouchables certes ! mais au sens où l’entendaient les Hindous, c’est-à-dire tout juste bons à boire l’eau de pluie ruisselant le long du trottoir !
Qui donc stoppera Bril dans son ascension ? On l’a vue dans les gares, aux abribus, en pub Facebook, partenaire du Louvre et sur France Inter… Ça paie toujours autant de persécuter le révolutionnaire… On se souvient de cette lettre d’un détracteur anonyme de Picasso en 1944, faite « de la merde pris au cul d’une prostituée de 60 ans ». Sûrement le geste d’un réac’ anti-coco englué dans ses fascistoïdes apories… À l’époque, c’était ce genre de types qui menaçait le maître espagnol. Quelle différence avec la vidéaste recevant du dispositif culturel (Kommandantur bien connue) des tickets de rationnement d’audience après son geste chiatique ?… Et tenez-vous bien ! Pour l’année 2021, cette souillasse a perçu 50 000€ de subventions de la part du Fonds d’aide aux créateurs vidéo sur internet ! Bravo, le Conseil National du Cinéma !…
Alexis Lucchesi dit « Vie Sublime », 1er mars 2022